Flaubert version XXe siècle

Publié le par constance

Cet exercice consistait à transposer la Madame Bovary de Flaubert à notre époque, tout en respectant le style de l'auteur. Emma regrette de vivre à la campagne, d'avoir une vie si monotone auprès d'un homme sans surprise qu'elle n'aime pas...

Elle s’acheta un plan de Paris et, avec un stylo rouge, elle entourait les lieux qui la faisaient rêver : l’avenue Montaigne avec ses boutiques de grands couturiers, l’avenue des Champs-Elysées et ses grands restaurants, ses boîtes de nuit branchées… La capitale, plus vaste que l’Océan, miroitait aux yeux d’Emma des mille attraits du plaisir. Chaque jour, après le déjeuner qu’elle passait toujours seule, Charles prenant ses repas à la cantine du Crédit Agricole, où il occupait un poste d’assistant commercial, elle ouvrait l’un des magazines « people » qu’elle achetait régulièrement. Il y avait toujours une pile de Gala, Voici, Paris Match et VSD sur sa petite table de nuit IKEA, que Charles avait monté lui-même, et il en traînait une quantité impressionnante partout dans la maison, depuis les toilettes jusque dans la cuisine, car elle ne les jetait jamais. Tout en poussant de profonds soupirs, elle tournait les pages et lisait lentement, sans sauter une ligne, les articles sur le mariage de Brad Pitt avec Jennifer Aniston, ou sur la naissance du premier enfant de Clotilde Coureau et Victor-Emmanuel de Savoie. A peine le magazine refermé, elle serait irrémédiablement ramenée à la réalité. Alors , parfois, elle le relisait une ou deux fois de suite, pour rester plus longtemps dans ce monde de paillettes qu’elle affectionnait. Dès qu’elle avait fini de lire, son regard se perdait dans les plis du rideau jaunâtre, cadeau de la mère de Charles, qui couvrait la fenêtre, et sa pensée vagabondait.

« Pourquoi, mon dieu, me suis-je mariée ? » se répétait-elle tout en évoquant sa vie désespérément monotone. Charles travaillait à heures fixes, mangeait à heures fixes, dormait à heures fixes, l’embrassait même à heures fixes, et la moindre perturbation de son emploi du temps le dérangeait. Leur existence était mieux organisée que la visite d’un chef d’état au Palais de l’Elysée.

Tous les samedis, elle prenait le RER qui la conduisait à Paris. Pendant le trajet, bercée par le grincement des roues, elle se sentait différente de tous ces gens ordinaires qui montaient ou descendaient à chaque station. Mais peut-être qu’un jeune homme, différent lui aussi, prenait ce même RER, et elle le cherchait des yeux, essayant de le reconnaître dans la foule des voyageurs. Elle descendait toujours à la station Charles-de -Gaulle-Etoile, puis elle errait autour des lieux qu’elle avait marqués de rouge sur son plan. Ah, si les choses s’étaient passées autrement ! Elle serait revenue dans ces mêmes lieux le soir, entourée par une bande de jeunes gens riant très fort et dépensant son argent sans compter dans les boîtes de nuit les plus en vue de la capitale. Elle serait arrivée en limousine devant les Bains-Douches, et les passants auraient admiré sa robe Prada à la dernière mode tandis que le videur, qui la connaîtrait bien, l’aurait laissée entrer avec un sourire. Toute la nuit, elle aurait dansé sur la piste enfumée, sous les éclairs des stroboscopes et les boules à facettes, au son du dernier David Guetta ou Laurent Wolf. L’été à Saint-Tropez, l’hiver à Courchevel, elle serait devenue l’égérie de la jet-set, invitée à toutes les soirées, tous les galas…

Mais sa vie restait sans relief, et les heure passées chez elle s’étiraient démesurément, comme les chewing-gums que les enfants s’amusaient à allonger le plus possible quand ils jouaient dans le square. Elle partageait son désespoir avec Rubis, son petit chihuahua brun. Elle avait voulu un chien depuis que, lisant Voici, elle avait vu des photos de Paris Hilton avec son propre chihuahua, Tinkerbell. Charles, n’osant la contrarier, lui avait offert la réplique exacte de celui du magazine. Et Emma passait désormais son temps à lui fabriquer des petits vêtements, qu’elle changeait selon la mode ou la saison, ou des colliers couverts de breloques et de strass. Et tout en promenant Rubis jusqu’au petit parc Alexandre Dumas, à trois rues de chez elle, elle attendait, espérait sans fin une rencontre avec un acteur de cinéma qui la remarquerait et l’emmènerait avec lui, de fêtes privées en galas de charité.

Puis tous les soirs, allongée dans le noir à côté de Charles qui ronflait déjà, un bras pendant hors du lit, elle restait longtemps les yeux ouverts à fixer un point dans l’obscurité, tandis qu’une phrase tournait dans sa tête comme un manège de fête foraine :

« Peut-être demain !  Peut-être demain !  Peut-être demain !… » 

 

Publié dans délires de plume

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A
Impressionnant... Je suis le deuxième fan !
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C
Bonne question, peut-être auras-tu la réponse un jour, si d'autres fans se manifestent lol! Patience...
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E
très jolie histoire... La suite est prévue pour quand ?<br /> je veux savoir ce qui lui arrive: va-t-elle perdre ses illusions, prendre un amant et devenir alcoolique ou rencontrer un pigeon qui valait 3 millions ?
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