Relooking en demi-teinte pour la Défense

Publié le par constance

 Les tours reviennent en force à la Défense. Après l’annonce d’un plan destiné à faire du quartier un « pôle d’excellence » économique, selon les termes de Nicolas Sarkozy, les projets de travaux se multiplient. Plus audacieux, plus environnementaux. Les entreprises rivalisent d’ingéniosité, mais derrière ces apparences clinquantes, le débat sur les tours reste d’actualité.

Aussi haute que la Tour Eiffel, elle sera le symbole du renouveau de la Défense (Hauts-de-Seine). La tour Phare, c’est le projet des plus ambitieux qu’Unibail a confié à l’agence américaine Morphosis fin novembre 2006. Livré en 2012, le bâtiment, dont la construction devrait commencer l’année prochaine, est le point central du plan de relance du quartier d’affaires de l’ouest parisien.

Présenté le 25 juillet 2006 par Nicolas Sarkozy, alors président de l’Etablissement public pour l’aménagement de la Défense (EPAD), ce plan prévoit la rénovation de certaines tours devenues obsolètes. Les salariés d’Axa ont déjà quitté la tour CB 31, qui doit être réhabilitée. Autre volet, la démolition-reconstruction d’immeubles anciens. Enfin, la construction de tours neuves, à hauteur de 300 000 m², est prévue d’ici à 2013.

Ce projet s’inscrit dans un contexte de polémique sur les tours, peu après la crise traversée par la mairie de Paris à propos du nouveau plan local d’urbanisme de la capitale. Bertrand Delanoë souhaitait la reprise de la construction d’immeubles de grandes hauteurs à l’intérieur de la ville, mais une partie de son équipe municipale s’y était violemment opposée. Le débat est désormais rouvert.

Pourtant, le plan de relance semble plutôt consensuel. Dans son discours, Nicolas Sarkozy avait justifié cette décision par la nécessité de « continuer la course en tête, face à des projets comme ceux de City Life à Milan ou Moscou City ». La concurrence internationale fait rage lorsqu’il s’agit d’attirer les grandes entreprises. À la Défense, le constat est sans appel. « En 1995, dix groupes mondiaux étaient implantés sur le site. Aujourd’hui, il n’en reste que trois. Londres attire le quart des implantations d’entreprises en Europe, contre 5% pour l’Ile-de-France », confirme Pauline Starck, chargée des relations presse à l’EPAD.

Jacques Kossowski, maire de Courbevoie, va plus loin. « Sans le plan de relance, c’est la mort de la Défense. » Le quartier d’affaires est en retard sur ses voisins européens, et a perdu beaucoup de son attractivité économique. « Les sièges sociaux s’en vont. Quand une tour se vide, ce sont 3 000 personnes qui partent ».

L’EPAD tente de lutter contre ce phénomène par de nombreux moyens. Pour faire venir les entreprises, il participe à des salons de l’immobilier et se rend dans les grandes villes européennes pour démarcher les sociétés, explique Pauline Starck. Des avantages financiers sont offerts aux propriétaires et aux maîtres d’ouvrages.

« Des gestes architecturaux remarquables »

Plusieurs grands chantiers sont déjà en route, comme celui de la tour Granite sur le secteur de Nanterre, pour la Société Générale, et la T1, sur Courbevoie, pour le groupe Colony Capital. Mais ces tours dernière génération n’ont rien en commun avec leurs prédécesseurs. La recherche du design est désormais un impératif pour les entreprises, qui font souvent appel à des architectes reconnus. « Aujourd’hui, les entreprises sont moins frileuses sur les formes, » constate un architecte de chez Valode et Pistre, l’agence française à la mode, qui travaille sur le chantier de la T1.

Anne Nguyen, de l’agence de communication d’Unibail, définit la future tour Phare comme « un emblème sur le plan architectural ». Ses formes courbes devraient trancher avec tous les bâtiments déjà présents. Dans un autre style, la tour Générali, avec ses cinq pics dressés vers le ciel, mettra une touche gothique dans le paysage urbain. À la Société Générale, Catherine Berthier explique que le choix de Christian de Portzamparc, titulaire de la chaire « création artistique » au Collège de France, pour construire la tour Granite, « n’est pas un hasard ». « Une grande signature architecturale est toujours plus intéressante commercialement », c’est pourquoi l’entreprise en a fait une ligne de conduite pour chacun de ses immeubles.

À cette volonté d’esthétique s’ajoute un désir de protection de l’environnement. Anne Nguyen affirme que la tour d’Unibail respectera « les impératifs du développement durable ». Les architectes réalisent désormais des tours économes en énergie grâce aux nouvelles technologies. Les entreprises mettent en avant le label HQE (haute qualité environnementale) qui réglemente la construction dans une optique plus écologique. Catherine Berthier le définit comme « une démarche citoyenne » pour la Société Générale.

À un niveau plus large, Bernard Bled, directeur général de l’EPAD, voudrait organiser à la Défense un rendez-vous mondial des quartiers d’affaires, à l’automne 2007, pour mettre en place une charte commune de protection de l’environnement.

Pourtant, certains ne sont pas dupes de cet engouement pour l’environnement. Plusieurs agences d’architectes prévoient des turbines éoliennes pour couronner leurs tours. C’est le cas entre autres de Valode et Pistre, mais l’un de leurs architectes qualifie ce projet d’ « utopique ». « Une tour écologique, c’est un non-sens », assène-t-il. Prétendre cela, « c’est une image, c’est de la pure communication ».

Et cette communication a un prix non négligeable, puisqu’elle majore les coûts de construction de 10 à 20%. Pour la tour Phare, Unibail devra donc débourser plus de 800 000 €.

Vivre en harmonie avec son environnement

Ces nouvelles préoccupations mettent en lumière un point essentiel, l’intégration de la tour dans le paysage urbain. Si les Parisiens y sont aussi réticents, c’est en grande partie dû à l’échec de la tour Montparnasse. « La tour entretient un dialogue avec la ville, elle ne doit pas être un obstacle, » affirme-t-on chez Valode et Pistre. Les surfaces vitrées, très utilisées aujourd’hui, sont des reflets de la ville. Ce n’est pas l’avis de certains riverains. « Ce n’est pas beau, » soupire M. Chaix, retraité habitant non loin du chantier de la tour T1. « Ils mettent du moderne dans un quartier où les maisons sont vieilles ».

Le ras-le-bol vient surtout de la concentration des tours. Elles sont un gain d’espace au sol non négligeable, mais trop, c’est trop. « C’est serré. Avant, de notre fenêtre, on avait une petite échappée vers Argenteuil. Mais maintenant, on ne voit plus rien, » confient M. et Mme Pelatan, un couple d’enseignants de Nanterre. « Ça pousse comme des champignons », constate Brahim, épicier dans le quartier Valmy. L’image est bien trouvée. Au rythme d’un étage par semaine, les actuelles tours en construction grandissent à vue d’œil.

La concentration, c’est aussi ce que reproche la municipalité de Nanterre, dont le maire, Patrick Jarry, a été le seul à s’opposer au plan de relance. Le premier problème, c’est que cela contribue à « renforcer les déséquilibres de la région Ile-de-France au niveau économique », explique Thierry Desfresnes, collaborateur de la mairie. Il pointe aussi du doigt la « cohésion sociale », oubliée par les pouvoirs publics. La Défense continue de grandir et d’attirer de nouveaux salariés, mais les transports en commun sont « saturés ». Le manque de logements devient critique : le quartier accueille 150 000 salariés mais seulement 20 000 habitants. Le paradoxe se prolonge dans le secteur de l’emploi. Le site est « un territoire de pointe économiquement », mais entouré de secteurs en « déshérence totale ».

Pour arriver à cette cohésion, il est nécessaire d’humaniser le quartier. « Il n’est pas admissible que la vie s’arrête à 20h à la Défense », lance Jacques Kossowski. Les habitants regrettent ce phénomène de désertification. « Le dimanche, il n’y a personne, c’est désolant, » se plaignent M. et Mme Pelatan. L’EPAD y répond par la mise en place d’activités évènementielles, mais aucune mesure de fond ne semble prise pour contrer ce processus.

Finalement, la Défense revient dans la course à la compétitivité économique. Londres et Milan n’ont qu’à bien se tenir, mais les habitants, eux, peuvent rester fatalistes.

 

Encadré : La Défense au conditionnel

Imaginez une tour de plus de 700 m de haut, en forme de fusée longiligne maintenue par trois pieds, qui aurait servi d’antenne de télévision à 250 km à la ronde. C’était le projet insensé que l’architecte belge Polak avait conçu pour la Défense dans les années 60.

Depuis sa création en 1958, le site a cristallisé les rêves architecturaux les plus ambitieux. Avant 1983 et la construction de la Grande Arche, des idées folles voient le jour, pour trouver le bâtiment qui prolongera l’Axe Historique formé par la place de la Concorde, les Champs-Élysées et l’Arc de Triomphe.

En 1964, la tour Lumière cybernétique du sculpteur Schöffer est évoquée. Deux mille projecteurs de grande puissance et autant de flashes auraient dû illuminer le ciel parisien, les faisceaux et les couleurs changeant en fonction des tendances de la Bourse, de la météo ou des embouteillages.

Six ans plus tard, le sino-américain Peï lance l’idée d’une grande tour en Diapason, en forme de V et de 210 m de haut.

En 1971, Emile Aillaud propose de fermer l’axe par deux immeubles concaves de 300 m de long sur 70 m de haut. Leur face interne serait composée de miroirs paraboliques, l’un argenté et l’autre noir, pour offrir à la ville une double image d’elle-même.

Tous ces projets seront finalement abandonnés.

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