pastiche de Modiano

Publié le par constance

J'ai écrit ce texte lors d'un atelier d'écriture romanesque auquel j'ai participé au cours de ma licence de lettres modernes à la Sorbonne. L'exercice était le suivant : raconter une des anecdotes des Exercices de style de Raymond Queneau à la manière de Patrick Modiano. A vous de juger...

 

A cette époque, je travaillais pour la société de courtage en assurances Surevie, dont les bureaux, avenue de Suffren, se trouvaient non loin de la rue du Laos, où j’avais loué une chambre de bonne pendant mes études à l’université. Ce jour-là, le bus de la ligne S , que je devais prendre tous les matins pour rejoindre mon bureau, n’était pas surchargé. Le temps était brumeux. Je voyais par la vitre défiler des immeubles élégants. Ceux qui bordaient l’avenue de la Grande Armée. Puis la place de l’Etoile, l’avenue d’Iéna. La pluie et le brouillard noyaient les contours des bâtiments dans une lumière triste. A l’avant de l’autobus, un homme était debout. Je me rappelle seulement quelques traits de sa silhouette. Grand et mince. Un long cou. Portant un chapeau entouré d’une tresse. Quel âge pouvait-il avoir ? Il semblait plutôt jeune, sans doute n’avait-il pas la trentaine. Je le vis se pencher vers un autre passager, et lui reprocher de l’avoir bousculé. Son voisin lui aurait marché sur les pieds, disait-il. Le bus était passé au pied de la Tour Eiffel , et longeait maintenant le Champ de Mars. Les jeunes gens s’y retrouvaient les soirs d’été, au pied de la statue du maréchal Joffre, pour discuter ou jouer de la musique. Bruits des conversations, accords des guitares, voix douces des filles qui chantaient… Moi-même, passant quelquefois par là pour rejoindre l’hôtel Cristal, où j’allais boire un verre avec des collègues, j’avais écouté avec nostalgie les airs fredonnés par ces étudiants insouciants. L’un deux  me restait en mémoire par-delà les années, une chanson des Beatles… yesterday… I’m not half the man I used to be… Cette époque me semblait si lointaine, même définitivement disparue… Why she had to go I don’t know… Comme dans un rêve, je revoyais les pelouses se peupler de silhouettes imprécises… oh yesterday came suddenly… A côté de moi, l’homme au long cou avait aperçu une place libre. Il s’était précipité vers elle et s’était assis. Oh I believe in yesterday…

 

Je le revis plus tard. Je descendais la rue de Rome, flânant devant les vitrines des magasins d’instruments de musique, fermés à cette heure tardive. Plus tôt dans la journée, la Flûte de Pan, le plus célèbre d’entre eux, avait accueilli des hordes de musiciens. J’en avais été moi aussi un client assidu l’année de mes onze ans, y entraînant mon père exaspéré presque tous les samedis. J’avais alors l’espoir d’y retrouver mon professeur de piano, Mademoiselle Vitali, dont j’étais secrètement amoureux. Je garderai toujours en mémoire le souvenir merveilleux du soir ou mon père m’avait emmené à l’un de ses concerts à la salle Gaveau. Derrière son piano, transportée par la musique du Carnaval des Animaux de Saint-Saëns, elle me semblait un ange. Aujourd’hui, je ne revois plus les détails de son visage. Etait-elle seulement jolie ?

L’homme de l’autobus se trouvait devant la gare Saint Lazare. Il enfilait un pardessus gris. Un ami l’accompagnait. Alors que je les dépassais, j’entendis des bribes de leur conversation. Son compagnon lui conseillait de fermer un bouton de plus. Mais déjà je m’éloignais, et le son de leurs voix se fondit dans les bruits de la ville.

 

Publié dans délires de plume

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M
je suis épatée par ton style! je comprend pourquoi tu réussis dans le journalisme. Je suis bleuffée!<br /> j'aime bien ton blog mais j'espère que tu vas mettre des photos, ce sera plus rigolo! peut-être qu'il y en a mais que je ne les ai pas trouvées! c'est possible.... bisou madame la fututre journaliste (c'est tout le malheur que je te souhaite)
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